Au cours de la dernière année, la question de l'itinérance à Montréal a gagné en attention dans la sphère publique. En 2015, Montréal affichait le plus haut taux d'itinérance chronique au Canada, soit 60 %. Aujourd'hui, on estime à 4000 le nombre de personnes vivant sans logement à Montréal, un chiffre qui a considérablement augmenté avec le début de la pandémie de COVID-19.
L'itinérance à Montréal est un exemple flagrant des inégalités raciales qui persistent dans la ville. La crise du logement est hautement racialisée, enracinée dans le colonialisme de peuplement et la discrimination systémique. À Montréal, les Autochtones sont largement surreprésentés dans la population des sans-logis, et 45 % des personnes vivant sans logement à Montréal sont des Inuits. Les données sur les taux de Noirs et d'autres personnes racialisées au sein de la population sans logement de Montréal ne sont pas disponibles, mais les données à l'échelle du Canada montrent que les Noirs sont confrontés à une discrimination systémique en matière de logement dans tout le pays, ce qui conduit, dans certains cas, à l'itinérance. Il est également difficile d'obtenir des statistiques actualisées sur l'itinérance, ce qui rend la mise en œuvre des nombreuses recommandations de l'OCPM relatives à la collecte de données fondées sur la race d'autant plus importante pour résoudre la crise du logement. De toute évidence, le sans-abrisme est une crise persistante et racialisée qui nécessite des réponses à long terme et culturellement appropriées.
Il y a quelques semaines, Isabel Klassen-Marshall, l'une des analystes politiques de MeA, a eu la chance de discuter en direct sur Instagram avec Sophie Hart, fondatrice de l'organisation communautaire Meals for Milton-Parc (M4MP), gérée par des étudiants, qui vise à soutenir et à défendre les personnes vivant sans logement dans le quartier de Milton-Parc. Voici quelques points saillants de cette conversation, notamment en ce qui concerne la réponse de Montréal à l'itinérance au cours de la dernière année, et comment les recommandations de la consultation de l'OCPM sur le racisme et la discrimination systémiques peuvent remédier à cette réponse inadéquate et nuisible :
Covid- 19 et réponses communautaires
M4MP est née en réponse à l'exclusion du logement pendant la pandémie de COVID-19. Le COVID-19 a exacerbé les inégalités existantes et a rendu l'exclusion du logement de plus en plus visible pour de nombreuses personnes. Dès le début de la pandémie, nous avons vu la ville imposer des réglementations qu'il est impossible de suivre pour les personnes sans logement. Les refuges et les mesures d'urgence, tels que les hôtels, ont été présentés par la ville comme des solutions à l'augmentation du nombre de personnes vivant sans logement pendant la pandémie. Cependant, ces refuges présentent souvent des obstacles à l'accès des personnes vivant sans logement, notamment des attentes en matière de sobriété et de confort dans un environnement de groupe contrôlé. Au-delà de ces attentes, de nombreux refuges ont connu des épidémies de COVID-19, ce qui a amené les gens à se sentir plus en sécurité dans les campements extérieurs que dans les refuges eux-mêmes. Ces épidémies ont également été racialisées, puisqu'à un moment de la deuxième vague, le taux de positivité était de 80 % dans la communauté autochtone de la rue.
De nombreuses organisations communautaires dirigées par des Autochtones, comme le Montreal Indigenous Community Network, Resilience Montreal et le Projet Autochtone du Québec, se sont regroupées pour créer deux tentes chauffées qui ont offert un répit aux personnes vivant dans la rue, en mettant l'accent sur les Autochtones qui vivaient ou vivent sans logement. Cependant, une grande partie du financement d'urgence qui a permis de soutenir ces tentes chauffantes ainsi que d'autres projets vitaux doit expirer le 30 juin, sans plan pour la continuation de ces services essentiels. Les deux tentes chauffantes ont fermé il y a environ un mois, et M4MP a depuis constaté une forte augmentation du nombre de personnes vivant sans logement à Milton et au Parc.
La criminalisation des personnes vivant sans logement
L'une des méthodes utilisées par Montréal pour répondre à l'augmentation du nombre de personnes vivant sans logement pendant le COVID-19, et même avant la pandémie, a été de les criminaliser. Un rapport récent montre que 40% des amendes émises à Montréal sont données à des personnes vivant sans logement. Ces amendes créent un cycle d'endettement, rendant encore plus difficile l'accès au logement et à l'emploi pour les personnes non logées. Sur son site Internet, le SPVM affirme que " les patrouilleurs du SPVM sont appelés plus de 40 fois par jour - soit 14 600 fois par an - à répondre à des situations impliquant des sans-abri ". Cette dépendance excessive à l'égard de la police dans les interactions avec les personnes sans-abri a conduit à de nombreuses conséquences néfastes, notamment l'expulsion forcée de campements extérieurs. Des travailleurs d'intervention communautaire formés seraient une réponse plus appropriée aux appels concernant les personnes vivant sans abri. Les expulsions de personnes vivant à l'extérieur, souvent l'endroit le plus sûr pour elles pendant une pandémie, sont violentes et dommageables, et coûtent probablement plus cher que les solutions productives à la crise du logement à long terme.
Des solutions pour aller de l'avant : Recommandation n°33 de l'OCPM
Dans le cadre de la consultation de l'OCPM sur le racisme et la discrimination systémiques, la recommandation 33 propose de nombreux moyens utiles pour que la ville aborde le problème des sans-abri de manière plus appropriée et plus solidaire. Tout d'abord, la recommandation 33a demande qu'une "évaluation intersectionnelle du processus d'attribution des terrains vacants aux groupes communautaires qui ont l'intention de construire des logements sociaux et communautaires" soit réalisée tous les trois ans avec des experts de la lutte contre le racisme. La mise en œuvre de ce point d'action pourrait avoir un impact positif sur de nombreuses personnes vivant sans logement, en particulier les autochtones et les Noirs qui sont largement surreprésentés dans la population sans logement. Par exemple, à l'intersection de Milton et de Parc, il y a un parking vacant que de nombreux Inuits non logés utilisaient dans le passé. L'été dernier, une clôture a été érigée autour du terrain par un propriétaire d'immeuble voisin. Au lieu de marginaliser les peuples indigènes sur les terres indigènes, cet espace inutilisé pourrait devenir un projet de logements sociaux dans un quartier que de nombreux Inuits et autres personnes sans logement considèrent déjà comme leur foyer. Il existe de nombreux autres terrains vacants dans la ville qui pourraient être utilisés pour répondre de manière appropriée à la crise du logement plutôt que de créer davantage de logements commerciaux inabordables.
Deuxièmement, la recommandation 33c demande à la ville de Montréal de soutenir un projet de logement dirigé par des Autochtones. Malgré le taux élevé de personnes autochtones vivant sans logement dans la province, il n'existe qu'un seul projet de logement social autochtone au Québec. Il existe de nombreuses organisations autochtones à Montréal qui font déjà tout leur possible pour répondre aux besoins des Autochtones sans logement. Par exemple, Projet Autochtones Québec gère un programme de gestion de l'alcool qui réduit les obstacles auxquels sont confrontés de nombreux sans-abri lorsqu'ils tentent d'accéder à des refuges. Les organisations autochtones doivent bénéficier d'un financement constant afin de pouvoir mettre en œuvre des solutions à long terme qui soutiennent les Autochtones selon leurs propres conditions.
Montréal est présentée comme une ville de réconciliation et a élaboré une stratégie explicite de réconciliation qui prévoit des projets de logement pour les Autochtones. Ces plans et la recommandation n°33 de la consultation de l'OCPM doivent être mis en œuvre avec l'urgence que mérite la crise du logement, afin que les gens puissent commencer à répondre à leurs besoins et à mener une vie épanouie. Les solutions à la crise du logement sont claires : il faut investir dès maintenant dans les logements transitoires et permanents. Aucune mesure d'urgence ne pourra jamais résoudre adéquatement une crise du logement enracinée dans la structure profonde et permanente du colonialisme de peuplement et de la discrimination systémique au Canada.